Le psychologue
J’ai regardé la vidéo du bon Dr Sikorav qui commentait la pertinence d’adresser une patiente qui fonctionne bien et ne se plaint pas au CRA.
J’ai très envie de rebondir dessus d’un point de vue psycho, dans un format anecdote/témoignage. C’est un vrai débat par chez nous.
Les phrases en italique ont été rajoutées par le bon dr Sikorav et sa femme.
Étudiant, j’ai été formé dans une perspective psychanalytique. On m’a formaté à penser que ce n’est pas parce que quelqu’un dit qu’il va bien qu’il va vraiment bien. Ça me semble vrai sur le fond - quand on vous demande “ça va ?”, vous répondez toujours sincèrement vous ? - mais quand ça devient obsessionnel, une sorte de règle d’or, là ça craint.
On peut vite tomber dans le panneau de croire qu’il y a toujours quelque chose de caché. A titre d’anecdote, on m’a même un jour enseigné qu’un enfant /adolescent qui allait bien, c’était suspect. Que le risque de décompensation était supérieur si la personne présentait un fonctionnement positif sur tous les aspects. Je me rappelle encore de mon ton docte et de mon air supérieur quand j’expliquais ensuite à mes proches que ce n’est pas parce que quelqu’un va bien qu’il va bien.
Haha épique.
Aujourd’hui, je ne suis pas d’accord avec cette vision. J’ai tendance à être premier degré (en première intention) : si la personne pense aller bien, c’est peut-être… digne d’être écouté. Si elle ne se plaint pas, que c’est confirmé par ses proches, bah… c’est probablement qu’il n’y a rien (on appelle ça le principe de parcimonie je crois : on privilégie l’explication la plus simple et probable et qui fait appel aux processus les moins alambiqués). Chercher le caché et l’exotique, on le réserve à la seconde intention.
Vous n’imaginez pas à quel point cette vision est ancrée dans le domaine du soin. Pas plus tard que cette semaine, une consœur psychologue me racontait, agacée, qu’elle avait passé une visite médicale. Le médecin l’avait interrogé : vous allez bien ? Elle lui avait répondu oui. Malheur. Il a insisté au point de la mettre en colère : ce n’est pas possible d’aller vraiment bien, vous êtes sûr qu’il n’y a rien qui irait mal ?
Concrètement, ça nous amène à avoir des patients qui parfois se présentent avec ce qui m’apparaît comme de drôles de demandes. Je suis particulièrement marqué par un monsieur reçu il y a quelques années. Sa demande : traiter un traumatisme. Je l’interroge : a-t-il vécu des expériences traumatisantes ? Non. Ah. Du coup, je lui demande : qu’est-ce qui vous fait penser qu’il faut traiter un traumatisme alors ? Sa réponse : j’ai passé un test avec un psychologue qui m’a dit que j’avais un traumatisme, et qu’il fallait le traiter.
Je le questionne : mais sinon, ça va vous ? Il me répond que oui, presque gêné. Oui, ça va, mais si j’ai un traumatisme inconscient, il faut pas que je laisse ça comme ça non ? Puisqu’il était là, on a convenu de faire un genre de check-up de santé mentale : humeur : RAS. Anxiété : RAS. Sommeil, alimentation, ok. Vie sociale ok. Activités physiques et sportives, ok. Je cherche des trucs moins évidents : pas d’hallu, pas de délire, pas d’addicto, pas de pensées obsessionnelles, pas de compulsions, pas de bizarreries dans le contact, relationnel normal, émotions reconnues et exprimées, discours cohérent et en lien avec la situation… Je revérifie : a-t-il été confronté à des expériences difficiles, à la mort, à la violence ? Non. Je joue le joker des proches, il est peut-être anosognosique : que disent ses proches ? Bah pas grand chose. J’ouvre sur du non-directif, ne sachant plus où regarder : ça va au boulot ? Oui. La famille ? Il les voit peu. Côté couple ? Il est célibataire en ce moment.
Mais dans ce cas, pourquoi avoir vu une psychologue dans un premier temps, qu’est-ce qui a motivé cette consultation ?
On a fini par convenir que puisqu’on ne trouvait pas de symptômes et qu’il se sentait bien, ça n’avait que peu de sens d’aller plus loin. Mais qu’il pouvait bien sûr revenir si ça n’allait pas, qu’il était le bienvenu. Bon, je ne l’ai pas revu. Je ne saurai jamais si j’ai raté quelque chose ou pas.
Plus généralement, je refuse au cabinet les demandes de “travail sur soi pour mieux se comprendre et se connaître”. Les délais sont raisonnables par ici pour suivre une TCC (quelques semaines/mois suivant les cabinets), mais il y a tout de même un délai : ça m’embête de limiter ma capacité d’accueil pour ces demandes.
Je sais que mes collègues ne seront pas tous d’accord avec cette position. Que réduire le suivi psychologique à une logique de santé / soin ne fait pas l’unanimité. Qu’on peut admettre que “la guérison vient de surcroit”. Pourquoi pas ! Chacun ses pratiques. (même si, je le répète, on est faux-jeton quand on tient ce discours tout en profitant sans scrupules des exonérations de TVA qui concernent… les “soins médicaux et paramédicaux” dispensés aux personnes).
Moi ça me fait rire. Mais faut avouer que c’est pas très lisible pour le grand public. Ou pour nos partenaires.
Le psychiatre
Ça pose déjà la question du dépistage. Les patients peuvent n’avoir aucune plainte fonctionnelle (je vois très bien …), mais être atteints d’une maladie asymptomatique jusqu’à ce qu’il soit trop tard (… mais je me fais bouffer le nerf optique par un glaucome).
Dans ce cas, on propose un dépistage en accord avec une ou des études qui ont montré l’intérêt économique de ce dernier. Si ça me coûte 300 millions de dépistage mais que je peux économiser 600 millions en prenant les patients en charge plus tôt, c’est une bonne affaire. Si ça me coûte 300 millions de dépistage, mais que je ne réalise aucune économie, c’est inutile. Si je dépense 300 millions de dépistage mais que je n’ai pas la moindre idée des bénéfices, c’est la même chose.
La santé est un business, qu’on le veuille ou non. Les ressources sont limitées. Et mes 300 millions d’euros sont mieux dépensés ailleurs - au hasard, dans de la prévention primaire; j’ai peut-être moins besoin de dépister le diabète si je supprime les sodas des supermarchés par exemple.
La psychologie clinique devrait à mon avis être remboursée au même titre que la psychiatrie, et si on est un tant soit peu sérieux, en première intention. Il n’y a pas une seule guideline qui dit autre chose que “psychothérapie en première intention ou en adjuvant” pour la majorité des troubles psychiatriques, mais les séances de psychothérapies évoluent de façon complètement indépendante de la prise en charge médicale. Je ne pense pas que ce soit une bonne idée.
La psychologie clinique, comme la psychiatrie, n’est pas accessible à tout le monde, que ce soit pour des raisons financières ou de difficultés d’accès au soin autres. La CPAM a décidé (de façon unilatérale, et sans demander aux principaux concernés) de rembourser avec nos impôts les séances de thérapie, à la fréquence de 12 par an.
Je pense que petit à petit, la psychiatrie et la psychologie vont se retrouver dans le même bateau. Je n’ai aucun intérêt pour la guerre des gangs - les psychologues qui ne veulent pas être des paramédicaux par exemple - je me préoccupe juste de comment les patients seront suivis.
Et à partir du moment où la psychologie sera dans le même bateau, les psychologues concernés, comme tous les psychiatres, devront répondre de la façon dont l’argent public est dépensé.
« Nul n'a droit au superflu tant que chacun n'a pas le nécessaire. »
Je n’imagine pas une seconde un cardiologue qui s’amuse à faire des épreuves d’effort chez les patients qui ne se plaignent d’aucun symptôme et qui n’ont aucun facteur de risque.
Je n’imagine par une seconde des radiologues demander des IRM corps entier pour dépister des gens qui vont bien.
A l’heure où les patients n’ont pas accès à des soins de santé mentale de qualité, sur l’ensemble du territoire, se payer le luxe d’aller chercher ce qui ne va pas chez des gens qui vont bien est un scandale.
Et pour aller plus loin, en médecine, par exemple en imagerie, on est capable d’aller trouver une anomalie, qui en réalité n’avait besoin d’aucune intervention. C’est non seulement inefficace mais dangereux d’aller chercher des noises à des gens qui vont bien - en dehors de tout programme de dépistage dont l’efficacité a été prouvée.
Et donc je pense qu’en psychiatrie, comme en psychologie, il faut s’avoir s’arrêter. Si personne ne se plaint de rien, on passe à autre chose.
C’est pas les patients qui manquent.
Il existe très certainement un business pour faire passer des échelles et des évaluations à des gens qui ne se plaignent de rien - je reçois parfois des patients qui ont dépensé plus d’un millier d’euros dans divers bilans dont l’utilité est douteuse.
Chacun fait ce qu’il veut de son fric.
Mais tant que les médecins seront payés par de l’argent public, ils seront au service du peuple.
Et pour le peuple, nul n'a droit au superflu tant que chacun n'a pas le nécessaire.
Tellement d'accord...
Ps : parfois en effet, des gens se pointent parce qqun (un ami, mais aussi souvent un pseudo-thérapeute neuro-quantico-transgénérationnel, voir un ami qui a lu le post Insta d'un pseudo-thérapeute lacanophile-ikigaiocompatible) leur a fait croire qu'ils avaient un pb. Le coup du trauma dont on ne se souviendrai pas, un classique !
Mon avis est que de toute façon les psy préfèrent les patients faciles, ce que j´appelle de la bobologie. Ceux qui ont vraiment besoin n´ont pas d'aide car qualifié de trop difficile et donc se font poliment jeter. Quand à la question d'insister à demander au patient s´il est sur d'aller bien, pour les personnes qui vont vraiment mal et qui ont l'habitude de le cacher, elles ne diront jamais la vérité quand on leur pose la question juste une fois et que l'autre en face prend le oui pour argent comptant. Je le vois dans mon job. Les gens comme ca lâchent des trucs au bout d'une heure de bon feeling, pas avant.