Le psychologue
L’idée de ce post me trotte depuis un moment dans la tête, mais une énième observation m’a décidé à le proposer à la discussion.
Je vous raconte l’anecdote pour poser le cadre : j’ai reçu une mère et son (grand) fils (adulte) souffrant de TOC. Ils avaient discuté avant le rendez-vous, et voulaient savoir s’ils pouvaient le faire ensemble. J’ai accepté, on a discuté du TOC au quotidien, de ses manifestations dans la vie professionnelle et personnelle, et des façons de mettre en œuvre une thérapie d’exposition au travail et à la maison. J’ai appris plein de choses en écoutant les observations de la mère.
A la fin du rendez-vous, au moment de partir, elle m’a remercié d’avoir accepté de les recevoir ensemble. Je n’ai pas prêté attention et ai marmonné que ce n’était rien (je le pensais). Me voyant en flagrant délit de non-écoute, elle a insisté : non, ce n’est pas rien pour elle. C’est la première fois qu’un psychologue accepte qu’elle assiste à tout le rendez-vous. Son record, c’était 5 min, à la fin du rendez-vous.
Le même jour, j’ai écouté la vidéo du Dr Sikorav sur la façon dont sa femme était finalement la plus à même de dire comment il allait. Je lui ai dit : “vas-y, on parlerait pas de la place des proches dans les suivis ?”
Dans une pratique TCC
A ce sujet, je fais quelques constats dans ma pratique que je vais énumérer ici. Par commodité, je vais prendre complètement arbitrairement le point de vue d’une TCC du TOC puisque je suis parti là-dessus (et parce que c’est une proportion significative de ma patientèle).
De manière générale, on parle assez peu des proches et de la place qu’on peut leur laisser en psychothérapie. Si on en parle, c’est un appendice de la prise en charge, un chapitre parmi d’autres. Dans les ressources spécialisées, il y a des genres de fiches à distribuer aux proches par l’intermédiaire du patient par exemple (du type : “vivre avec une personne souffrant de TOC”), avec un peu d’informations et de conseils sur la façon de se positionner au mieux. Dans les protocoles type B4DT, il y a même un moment d’informations dédié aux proches. Vous vous rendez pas compte, mais c’est limite innovant comme pratique : on vous regardera bizarrement si vous faites ainsi. Vous romprez avec la tradition de la relation duelle et discrète.
De mon côté, j’ai pris le parti de simplifier - mais pas encore assez à mon goût. Je dis à mes patients qu’ils peuvent faire venir leurs proches s’ils le souhaitent. Un rendez-vous, deux rendez-vous, tous les rendez-vous ; tout le rendez-vous ou juste une partie : c’est eux qui voient, c’est ouvert à la discussion. Faut juste en discuter avant (et encore, je suppose que si j’étais face au fait accompli je ferais confiance au patient et j'accepterai tout le monde).
Depuis que je fais ça, je ne me vois plus faire autrement : c’est infiniment plus simple, pour plusieurs raisons :
Sur la partie analyse de la demande : souvent, les proches poussent plus ou moins à consulter. S’ils encouragent de la sorte, c’est qu’ils voient quelque chose. Ça serait dommage de ne pas en tenir compte. Ça évite la question classique quand on voit que le patient sèche un peu : “et vos proches, ils en disent quoi ?”
Sur la partie exploration, ça aide à collecter et inventorier toutes les manifestations qui relèvent du TOC (les proches sont généralement capables de fournir plein d’info précieuses) ;
Sur la partie psychoéducation, ça semble logique de leur proposer de venir et de bénéficier des mêmes éléments. En plus, ça les aide à repérer et comprendre comment ils peuvent se positionner différemment vis-à-vis des compulsions.
Sur la partie thérapie d’exposition, c’est carrément fondamental : c’est vachement plus simple à faire si les proches savent pourquoi le patient doit lancer une machine à laver avec un mouchoir dedans, ou se promener dans la maison avec un couteau pour caresser le chien, ou laisser la lumière allumée, etc. ;
Sur la partie rétablissement, c’est aussi précieux : les proches sont très efficaces pour dire si ça va mieux ou moins bien.
Et de manière générale, je garde en tête que de toute façon, les patients me disent discuter du rendez-vous avec leur conjoint.e ou famille en rentrant. Alors autant leur proposer de venir directement plutôt que de jouer au téléphone arabe.
Est-ce que ça marche “mieux” ? Je ne suis pas sûr. J’avais lu un article je crois (mais je ne le retrouve plus) qui peinait à démontrer la supériorité de l’intégration des proches dans les TCC du TOC. Est-ce que c’est plus simple ? Assurément.
Surtout, il y a un effet non-mesurable mais qui me semble important : ça aide à démystifier, à rassurer, à banaliser. Pour les TOC, je ne suis pas convaincu que le secret soit toujours avantageux. Et niveau travail collaboratif, on est bien aussi : on travaille tous ensemble, et tout le monde se sent concerné.
En dehors de certains cas évidents pour lesquels la consultation individuelle et confidentielle est nécessaire et évidente, ça me semble un raisonnement applicable à pas mal de difficultés (j’ai juste un (gros) doute sur les troubles de personnalité de manière générale mais je laisse ceux qui connaissent mieux que moi se prononcer).
De tout façon, pour éviter de faire des bêtises, il me semble qu’il y a un principe clair à respecter : c’est une proposition qui peut être faite au patient, mais qu’il n’est pas tenu de considérer. On peut l’envisager, en débattre, soupeser le pour et le contre, changer d’avis, ne le faire qu’à un moment spécifique du suivi… C’est négocié et souple. C’est juste un élément du dispositif, tout comme on peut consulter en visio ou à domicile si ça fait sens.
(Mais consulter à domicile, mes collègues me soufflent que c’est encore un autre problème et un sujet de débat dans la profession donc je ne vais pas ouvrir trop de portes).
Le psychiatre
Celle-là elle est facile.
S’il n’y a pas de proche, je ne peux pas bosser.
Ça n’est pas propre à la psychiatrie. Ma grand-mère, quand on lui demande si elle va bien nous répond oui, mais c’est la voisine qui se rend compte qu’elle ne fait plus les courses à pieds et qu’elle prend l’ascenseur. C’est comme ça qu’on se rend compte d’une insuffisance cardiaque avant qu’il ne soit trop tard.
En hospitalisation, l’appel de l’entourage est systématique. Je me suis pris assez de gifles quand j’étais interne pour m’en souvenir :
J’appelle le sénior pour lui dire que le patient de la 308 me dit qu’il va bien et qu’il veut sortir. Il me demande ensuite si j’ai appelé la famille. Woops.
J’appelle la femme, qui me dit qu’il lui a envoyé un message à l’instant en disant qu’il rentre pour mettre fin à ses jours.
5 minutes après la sœur m’appelle en me demandant si je compte vraiment le laisser sortir alors qu’il a rédigé un testament il y a 48h - le patient ne m’avait évidemment rien dit.
Et le lendemain la même chose arrive, pour un patient différent, avec le même senior. “T’as appelé la famille Michaël ?”
10 minutes après: “En fait changement de programme il faut que tu viennes on ne peut pas le laisser rentrer il a enfoncé la porte de la boucherie en face pour leur proposer la vie éternelle.”
Je peux vous dire que je m’en souviens.
Je n’imagine pas une seconde travailler sans avoir un second avis externe par l’entourage. L’entourage peut être n’importe qui suffisamment proche du patient, pas forcément la famille, à partir du moment où il n’y a pas de biais évidents (genre l’ex-femme qui reproche XYZ au patient).
On diagnostic et on soigne des troubles dans lesquels il y a a presque par définition un manque d’insight - à savoir “est-ce que je me rend compte des difficultés que je traverse” (en simplifiant). Faire de la psychiatrie sans proche en ne se fiant qu’au discours du patient, c’est rouler sur l’autoroute les yeux bandés.
Je n’hésite parfois pas à dire : “vous revenez avec un proche, on ne touche à rien tant qu’on a pas un avis externe.” Les patients sont libres de changer de psychiatre s’ils n’aiment pas ça - ça ne m’est encore jamais arrivé.
Pareil quand on diminue les doses des psychotropes, l’entourage vient, tout le monde est prévenu - c’est normalement systématique ; et je me prends parfois à ne pas l’avoir fait.
Évidemment, quand tout se passe bien, on n’a besoin de prévenir personne.
Mais s’il arrive un jour un drame, personne ne vous pardonnera de ne pas avoir été tenu au courant.
Et les drames arriveront.
Je conclus en disant que j’ai moi-même fait de la psychiatrie intensive à domicile, et je ne recommande pas de faire ça seul. Les patients délirants sur un mode paranoïaque qui sont convaincus qu’on vient leur faire la peau sont très différents quand vous les voyez sur l’extérieur et quand vous sonnez à leurs porte.
Sujet important ! En tant que "proche" je trouve ma présence plutôt nécessaire car j'ai un autre angle de vue. Néanmoins je trouve important de laisser le patient libre de choisir et dans ce cas un entretien avec le proche doit se faire en aparté.
Par exemple mon fils tsa, tdah et trouble de l'humeur quand le pro lui demande comment il va il répond "très bien" alors que dans le quotidien ce n'est pas ce que je vois. Si on ne me permettait pas de donner mon avis on serait passer à côté...
Certains pro n'aiment pas la présence des parents..c'est dommage.
Quand le secteur psychiatrique est surchargé, la communication avec la famille peut se faire en sens inverse : -"dites, ça fait combien de jours qu'il ne s'est pas présenté pour son injection d'anti-psychotique ?" ..."euh, on vous envoie l'équipe mobile". -"dites, vous n'auriez pas diminué la dose récemment ? ...parce que ça part en vrille"; "ah il vous dit qu'il gère ? Parce qu'en fait la famille est ruinée, la maman ne veut plus sortir, ni manger, ni se laver depuis des mois, elle sursaute au moindre bruit, et la maison est en chantier. Mais à part ça il gère, oui."